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Concert „Triton" – Festival Brahms

Dans Libertatea, Bucarest, no. 9, 5 mai 1938

Lipatti autrement / Le critique musical / Chroniques de Lipatti




L'association « Triton », fondé et dirigée par M. Ferroud, s'est engagée à présenter uniquement des œuvres modernes, en grande partie des créations. Ainsi, toutes les œuvres de musique de chambre des compositeurs français actuels ont été jouées grâce à l'Association « Triton » qui continue sans hésitation cette lutte si belle, mais ingrate.

S'il m'était permis de faire un petit reproche, cela concernerait la conception de ces programmes. Effectivement, à côté d’œuvres remarquables, nous avons écouté dans les concerts « Triton », d'autres sans aucun intérêt artistique.

Un quatuor de Jean Cartan, joué dans des conditions excellentes par l'ensemble « Pro Arte » m'a laissé une assez bonne impression, mais l'art du compositeur ne m'a pas paru assez sûr.

Sur la Sonatine de Georges Dandelot, interprétée par le flûtiste Le Roy et le pianiste Perlemutter, je ne peux dire qu'elle ait été interprétée avec brio. Malheureusement l’œuvre en elle-même n'est pas digne de l'auteur de l'oratoire « Pax ». Construite sur des thèmes trop banales qui se répètent trop, toute la partie mélodique semble composée un demi-ton plus haut que sa propre harmonie. Avec ce parti-pris dès le début, l'auteur n'a atteint qu'un seul but. Celui d'avoir écrit quelque chose de plus original ! Puisque c'est ce qu'il vise, tous les arguments que je pourrais invoquer sont inutiles. 

Une Sonate pour violon et piano de Neugeboren, très bien interprétée par Charmi et Perlemutter nous a dévoilé les qualités de sa composition, estompées pourtant par les influences trop nombreuses.

Je ne m'attendais pas à être si plaisamment surpris, dans la deuxième partie du programme, par une Suite pour flûte et piano de Marcelle de Manziarly. L'auteure est l'une des très douées disciples de la plus importante figure de la pédagogie musicale actuelle, Nadia Boulanger. Je ne m'étonne donc pas, je comprends d'où elle a obtenu une technique si solide et subtile. Œuvre spécifiquement française, sans manquer de profondeur, la suite de Manziarly est une vraie réussite et confirme les qualités de la jeune compositrice.

Pour finir, un quatuor de Honegger, joué remarquablement et qui, après la première partie du programme, a redonné un peu d'optimisme.

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J'avoue que – à chaque fois que la Symphonie en mi mineur de Brahms est au programme, j'évite de l'écouter, afin de garder intacte le souvenir de la magnifique interprétation de Enescu. Cette fois-ci, par simple curiosité, j'ai fait l'erreur de la réécouter. Et maintenant je le regrette.

Sidney Beer est un chef-d'orchestre très musical, mais il lui manque cette force du « geste staccato », ce qui implique fatalement un manque de précision de l'attaque dans l'orchestre. J'ai été sous l'impression que la Philharmonie de Paris (remarquable formation symphonique, peut-être la meilleure d'ici) réalisait des effets que le chef-d'orchestre ne sentait même pas. Ceci expliquerait l'atmosphère rêveuse de l'Andante de la Symphonie, mais aussi la couleur des certaines Variations sur un thème de Haydn.

Mais revenons à la Symphonie. Écrite dans la dernière partie de la vie du grand compositeur, elle a été présentée pour la première fois à Meiningen en 1885. Quelle passion, quelle impétuosité et grandeur contiennent ces admirables pages. Seul l'Andante est en contraste avec le reste de la Symphonie, par son caractère de profonde expression et contemplation.

Les Variations sur un thème de Haydn ont été composées en 1873. Le thème, extrait d'un Divertissement pour souffleurs de Haydn, consiste d'une phrase pleine de grâce que Brahms transforme pour lui donner une vie autonome dans chaque variation. Le mode mineur est presque tout le temps arrangé avec une couleur très riche. Sidney Beer m'a semblé plus maître de lui dans ces adorables tableaux symphoniques, peut-être aussi grâce au fait qu'ici, il ne devait pas lutter contre des phrases trop longues.

Le Concerto en si bémol est, je crois, le plus difficile à comprendre parmi tous les concerts classiques pour piano. Il érige devant l'interprète des obstacles insurmontables tant à cause de sa durée exceptionnellement étendue, que par les nombreux passages où le dynamisme du soliste est mis à rude épreuve.

Un tel monument instrumental, il n'y a que Backhaus qui peut le dominer aujourd'hui, et peut-être parfois Kempff.

Jan Smeterlin, un très apprécié pianiste de l'Amérique, est doué de grandes qualités, mais elles sont largement insuffisantes pour ce Concerto. Ceci a obligé Smeterlin à renoncer à certains passages de bravoure, les modifiant dans son arrangement, mais pas dans celui du compositeur. Tant que les modifications n'altèrent en rien la pensée de l’œuvre créé, tous les arrangements sont permis.