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Récital Walter Gieseking – Alfred Cortot

Dans Libertatea, Bucarest, no. 4, le 20 février 1938

Lipatti autrement / Le critique musical / Chroniques de Lipatti




Quel merveilleux pianiste et bon connaisseur de son instrument !

Nous avons pu, cette année encore, écouter Walter Gieseking dans un très beau programme : la Suite française de Bach, trois Sonates de Scarlatti, les Sonates op. 109 et 111 de Beethoven, la Pavane, la Sonatine, Alborada del gracioso, La vallée des cloches et Ondine de Ravel.

Dans la Sonate op. 111 de Beethoven, Gieseking a déployé une attaque parfois trop brutale, atténuant la beauté de l'Arioso et de ses variations. En revanche, il a été indépassable dans les œuvres de Ravel. Grâce à son jeu très souple, Gieseking obtient des effets insoupçonnables en « pianissimo ».

Dans les Sonates de Scarlatti il nous a délectés avec la précision et l'égalité des passages rapides et dans la Suite de Bach nous avons admiré la clarté de la mélodie.

Le public très nombreux de la salle Pleyel a longuement acclamé ce grand pianiste et l'a obligé à interpréter encore six bis.

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L'un des plus grands pianistes actuels, le plus fervent défenseur du romantisme, le seul peut-être chez qui le virtuose ne domine pas l'interprète, Alfred Cortot nous a réservé cette année encore la possibilité de comprendre et aimer davantage les œuvres qu'il joue de ses doigts magistraux.

Du cycle des cinq conférences tenues aux Annales, je ne parlerai que de la dernière – intitulée « Dialogues entre piano et orchestre ».

Cortot a interprété les Variations symphoniques de Franck, la Balade de Fauré et le Concerto pour la main gauche de Ravel, avec l'accompagnement de l'Orchestre Philharmonique de Paris, sous la direction de Charles Münch.

Quelle distinction dans la Balade de Fauré et quelle admirable interprétation nous a offert le grand musicien ! Pour ne plus parler des Variations symphoniques de Franck, où Cortot a réussi à rafraîchir la forme et l'essence musicale de cette œuvre en quelque sorte vieillie.

Le Concerto pour la main gauche de Ravel a été écrit en même temps que son brillant Concerto en Sol, mais est interprété moins souvent. Dédié au pianiste Paul Wittgenstein qui a perdu son bras pendant la guerre, le Concerto pour la main gauche est le dernier essai de Ravel.

Cortot possède un arrangement pour deux mains de ce concert, mais il en a cependant interprété la version originale.

L'expression roumaine « La main droite ne doit pas savoir ce que fait la gauche » perd son sens dans ce contexte : la main gauche de Cortot a dépassé sa main droite. Ce n'est pas rien !

Charles Münch est incontestablement un très bon chef d'orchestre et en même temps un accompagnateur parfait, une qualité appréciable dont pas tout le monde est doué. Il a réussi à améliorer le niveau artistique de la Philharmonie de Paris, dont le chef permanent se trouve à un niveau que les autres orchestres ici n'ont pas atteint. Ce que j'admire le plus chez ce musicien est la lutte qu'il mène sans cesse pour la diffusion de la nouvelle musique. Ce serait bien si toutes les autres Associations symphoniques imiteraient son exemple. Mais pas tout le monde peut être un éducateur des masses !