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Bruno Walter – Le quatuor de Budapest – A. Rubinstein – Münch

Dans Libertatea, Bucarest, no. 1, 5 juin 1938

Lipatti autrement / Le critique musical / Chroniques de Lipatti




Une semaine riche en concerts notables. Bruno Walter nous a enchantés dans un Festival Mozart, dirigeant la Symphonie en sol mineur, le Divertissement en si bémol, la Petite Sérénade en sol majeur et enfin le Concerto pour piano en la majeur, dont il a également été soliste. La Symphonie a été le point culminant du concerto dans lequel Bruno Walter nous a dévoilé ses grandes qualités d'animateur et sa sensibilité.

Le Concerto pour piano en la majeur est l'une des grandes merveilles de Mozart. Le pianiste Bruno Walter a été à la hauteur, sensible dans l'Andante et enjoué et plein d'esprit à la fin.

L'Orchestre Philharmonique de Paris, que je ne puis pas m'empêcher de considérer comme le meilleur de France, a traduit avec fidélité les moindres intentions du grand chef-d'orchestre.

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Une autre soirée musicale qui m'a rempli d'enthousiasme a proposé un récital du quatuor de Budapest. Ils ont interprété magnifiquement le Quatuor en sol majeur (no. 81) de Haydn, celui en do mineur de Mozart et celui en si bémol (de la Grande Fugue) de Beethoven. J'ai du mal à décrire les moments admirables que ce concert m'a procurés.

La précision de l'attaque a été à tel point parfaite qu'on aurait dit que les quatre musiciens ne faisaient qu'un seul. À part la perfection technique qu'ils ont atteinte, j'ai admiré le respect de ces musiciens accomplis pour les œuvres interprétées.

Le quatuor de Mozart, ces magnifiques pages qui font pressentir l'apparition de Beethoven, a vibré avec beaucoup de sensibilité sous les archets du Quatuor de Budapest.

L'Introduction de la première partie de cette œuvre est simplement étonnante. Dans le quatuor de Beethoven, dont la Fugue est l'une des plus difficiles pages de la littérature de la musique de chambre, les quatre musiciens se sont outrepassés. Le Scherzo du Quatuor en fa majeur (op. 135) de Beethoven, donné comme bis, a clôturé une soirée musicale qu'on aurait souhaitée interminable.

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Arthur Rubinstein, après une grande tournée en Amérique, est de retour en France et son premier récital a eu lieu hier à la Salle Pleyel. La Toccate en ut majeur de Bach, par laquelle il a commencé son programme, a été incontestablement magnifique sous les mains de ce grand virtuose qui, néanmoins péchait par un tempo instable. Tant le Prélude que la Fugue de cette Toccate demandent impérieusement une pulsation rythmique impeccable. C'est seulement ainsi qu'un pianiste peut atteindre l'effet de grandeur obtenu par l'orgue.

Rubinstein a ensuite interprété les Études Symphoniques de Schumann. Aucun passage de bravoure ne résiste devant la technique de ce pianiste, mais j'aurais aimé une plus grande sensibilité d'interprétation. Ce serait magnifique s'il oubliait de temps en temps qu'il est Rubinstein pour être tout simplement musicien. Je ne peux pas oublier à quel point il fut extraordinaire dans un récital qu'il a donné il y a deux ans à Bucarest. Hier soir, ce n'est que pendant la deuxième partie du programme qu'il semblait chauffé.

L'interprétation de « Mouvements perpétuels » de Poulenc a été magnifique. De même « Hommage à Rameau », « Ondines » en « Ménéstrels » de Debussy.

Pour ne plus parler des partitions espagnoles, dans lesquelles Rubinstein est indépassable. Dans la très connue Polonaise en la bémol de Chopin, je l'ai trouvé un peu mieux… Même s'il n'a pas peur d'oser, je me permets toutefois de dire que sa palette sonore reste assez pauvre. Dans des œuvres romantiques, pleines de bravoure, où la pédale cache des passages qui restent peu claires, le jeu d'un tel pianiste est très indiqué. Mais je ne le vois pas interpréter une Sonate de Mozart ou une Partita de Bach. Cela n'empêche pas Rubinstein de rester l'un des grands pianistes actuels qui, quand il veut travailler, peut faire des miracles. 

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Au dernier concert « Triton » dirigé par Charles Münch, j'ai entendu un Divertissement de Marcel Mihalovici très plein d'esprit et bien arrangé, un délicieux Concerto pour saxophone de Jacques Ibert, un autre Concerto pour orchestre de Roussel, une des pages les plus réussies de ce grand compositeur français et « Trois chansons de fous » de Ferroud, œuvre amusante et sincère. Pour finir « Pulcinella » de Stravinski travaillée à partir de Pergolesi. L’œuvre est adorable, comme d'ailleurs tout ce qui passe par les mains de magicien de Stravinski. Pulcinella a suscité dès son apparition beaucoup de passions. C'est peut-être le plus important indicateur d'un succès imminent !

Münch a dirigé ce concert avec sa passion habituelle. Avant de clôturer, je dois mentionner les œuvres d'un compositeur suisse, Raffaele d'Alessandro, dont le talent promet une belle carrière. J'évoquerais notamment une Sonatine pour piano, un Récitatif et Rondo pour hautbois et piano, ainsi que six chansons, merveilleusement interprétées par la Comtesse Jean de Poliganc et Paul Derenne. La sensibilité de d'Alessandro, ainsi que son aisance justifient les plus grands espoirs.