image

La vie musicale à Paris

Dans Libertatea, Bucarest, no. 11, 5 juin 1939

Lipatti autrement / Le critique musical / Chroniques de Lipatti




Le quatuor Budapest est sans le moindre doute l'un des meilleurs ensembles du monde entier. Le respect pour les œuvres présentées, l'attaque sûre et souple que seul un Toscanini pourrait obtenir des instruments à cordes, l'élan discipliné et l'intelligence musicale de premier ordre que ces artistes possèdent au plus haut degré confirment le succès dont ils jouissent partout. Les six récitals de la série Beethoven, dans le cadre desquels les quatuors du Titan nous ont été révélés par cet ensemble, ne seront pas oubliés. Ils n'abusent pas du fortissimo, avantage immense surtout dans le cas d'un quatuor où la dynamique est fatalement limitée. En revanche ils obtiennent un « pianissimo » que nous n'avons plus entendu chez aucun quatuor. Toute ma reconnaissance à ces musiciens honnêtes qui peuvent être considérés comme prototypes du vrai interprète : celui qui ne sacrifie jamais la pensée musicale au profit de la technique instrumentale.

Le Concerto en mi bémol majeur pour piano et orchestre de Mozart, que j'ai écouté dans l'interprétation magistrale de Clara Haskil, m'a persuadé encore davantage de la grandeur et la vie extraordinaire de ce chef-d’œuvre. Clara Haskil s'outrepasse elle-même dans ce Concerto, qu'elle a joué merveilleusement.

Le récital de Nadine Desouches a marqué un bon point de départ pour la jeune et exubérante pianiste qui aura sûrement une carrière brillante. Le point culminant a été atteint dans certains point de la trop longue « Kreislerienne » de Schumann, ainsi que dans les pièces de Debussy où Nadine Desouches a fait preuve de beaucoup de sensibilité.

Au dernier concert « Triton » que des œuvres notables étaient au rendez-vous : événement peu habituel dans les concerts parisiens ! Tout d'abord « Noces » de Stravinsky, l'une des pierres fondamentales de la musique moderne. Cette œuvre, en dépit de l'âpreté de son aspect extérieur – dû aux rythmes sauvages qui s'enchaînent pour soutenir toute la partition – contient une dose infinie poésie. Extrêmement difficile à monter, « Noces » a brillé de manière magistrale sous la baguette de Charles Münch.

« Interlude et Capriccio » pour piano et orchestre de Marcel Mihalovici est une œuvre pleine de vie, d'esprit et robuste, où l'auteur traite des thèmes avec une excellente maîtrise du contrepoint. La « Coda » en particulier crée une ambiance très joyeuse. Monique Haas a assuré la partition du piano avec beaucoup d'autorité.

Trois œuvres très intéressantes du compositeur tchèque Martinu écrites pour deux pianos et orchestre de chambre ont prouvé combien de ressources contient le mélange entre les instruments de percussion et l'orchestre, quand il est maîtrisé par un artiste du calibre de Martinu. Mais, mis à-part cette considération, il faut surtout admirer l'inspiration libre et pourtant ordonnée, pleine de logique de Martinu, qui devient un langage vivant, passionné, sincère et toujours nouveau. La réaction du public et son enthousiasme me confortent dans ma conviction qu'il aura toujours et en toute occasion une répercussion directe et immédiate sur les masses. 

Six chorales de Florent Schmidt, extrêmement amusants, ont été interprétés par le chœur Gouverne. Charles Münch, toujours passionné et en pleine ascension a dirigé tout le concert avec l'autorité qu'on li connaît.