Le festival Ravel - Stravinski. Concert Charles Münch
Dans Libertatea, Bucarest, no. 6, 20 mars 1938
Le concert dirigé par M. Inghelbrecht a marqué une date importante pour le public comme pour les interprètes : l'Orchestre National célébrait le 500econcert depuis son fondement, par un Festival Ravel-Stravinski.
Si dans la Rhapsodie espagnole M. Inghelbrecht semblait être mal à l'aise dans ses gestes, dans Daphnis et Chloé il a été remarquable, surtout dans la 2epartie. Dans l'Introduction et Allegro de Ravel pour harpe et orchestre, Mme. Michelline Kahn a tenu la partie de l'instrument soliste avec beaucoup d'adresse, faisant preuve d'une belle technique et d'une intelligence constructive de premier ordre.
Et ensuite, voilà Stravinski monté au pupitre pour diriger sa plus récente création, « Jeux de cartes » !
Il m'est impossible de parler en détail de cette œuvre que j'entends pour la première fois. Je ne peux pas m'abstenir de dire qu'elle m'a laissé un peu déconcerté. Sans doute, nous retrouvons ici la verve, l'esprit et l'ironie et l'humour du grand compositeur. Pourtant il y a quelque chose qui m'empêche de dire « il a trouvé le mot » ! Je n'attribue cet état d'esprit qu'à moi seul : je suis sûr de pouvoir mieux comprendre « Jeux de cartes » en le « lisant » et en le réécoutant plusieurs fois.
Le concert à été clôturé par « La Symphonie des Psaumes » de Stravinski, une œuvre avec une construction sévère, impressionnante. Je devrais réécouter cette pièce aussi afin de la comprendre complètement.
L'Orchestre National, ainsi que le chœur ont été à la hauteur des œuvres interprétées, nous donnant ainsi la possibilité d'apprécier encore plus leur beauté.
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Dans la vieille salle du Conservatoire, où se déroulent chaque semaine les concerts symphoniques de Philippe Gaubert j'ai admiré à nouveau les qualités exceptionnelles de Charles Münch, invité cette fois-ci au pupitre de la Société des concerts.
Après l'Ouverture « Geneviève » de Schumann, interprétée avec beaucoup de chaleur, nous avons écouté l'admirable Concert pour piano et orchestre en Mi bémol majeur de Beethoven, si difficile et pourtant, malheureusement si souvent joué. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'artistes dignes d'interpréter une telle œuvre. Le pianiste hongrois Kilenyi, le soliste d'aujourd'hui, a été inférieur à la renommée (pour ne pas dire à la publicité qui lui est faite), dont il jouit depuis un certain temps. Il est un pianiste douée de belles qualités techniques, mais un musicien médiocre. J'ai admiré le courage presque héroïque du chef-d'orchestre qui, avec un tél pianiste, a eu le courage d'aller jusqu'au but. Une Nocturne et quatre Études de Chopin interprétées par Kilenyi m'ont persuadé qu'il est loin d'être l'un des grands pianistes de sa génération.
La Symphonie en mi mineur de Brahms, qui a clôturé le concert, nous a ramenés dans un état d'enchantement de l'âme. Passionné dans la dernière partie, rêveur dans l'Adagio, étincelant dans le Scherzo pour devenir tumultueux dans l'admirable Passacaille qui finit cette merveilleuse symphonie, Charles Münch a fait en sorte que l'orchestre joue comme un seul musicien.
Je l'ai écouté l'autre jour diriger le Concert brandenbourgeois no. 3 en Sol majeur de Bach. J'en ai rarement entendu une si belle interprétation. Vous croyez peut-être qu'il dirigeait la Philharmonie de Berlin ? Pas du tout : c'était un concert donné par les élèves de l’École Normale de musique de Paris
Sobre comme un vrai artiste, sûr de ses moyens expressifs, Münch réussit à obtenir un maximum d'expressivité avec un minumum de gestes.
Je félicite la direction de l’École Normale de Musique de Paris pour l'initiative d'offrir à Charles Münch la place qu'il mérite, à côté de Nadia Boulanger et Alfred Cortot.