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Les devoirs de l'interprète face à une œuvre musicale, énumérés dans une lettre à un jeune pianiste de l'Afrique du Sud, citée dans le volume In memoriam Dinu Lipatti

Notre » vraie et unique religion, notre seul et inébranlable point d'appui est le texte écrit. Il ne faut jamais manquer de fidélité envers ce texte, comme si nous rendions compte de nos actions chaque jour devant des juges implacables.
Devant ce tribunal suprême institué par nous de bon gré pour protéger ce que nous considérons comme notre croyance, notre évangile – le texte écrit, nous devons l'étudier, l'assimiler, le confronter à plusieurs éditions, pour enfin mettre en avant cette image qui correspond le plus fidèlement possible à la pensée initiale du compositeur.

Une fois tout cela bien établi, il ne faut pas oublier que ce texte, pour qu'il puisse vivre sa vie, doit avoir un peu de notre vie ; tout comme dans une construction, nous devons ajouter à la fondation bétonnée de nos scrupules envers le texte, tout ce dont une maison a besoin pour être achevée : l'élan de notre cœur, la spontanéité, la liberté, la diversité des sentiments etc.
Casella dit quelque part que les chefs-d’œuvre ne doivent pas être respectés, mais aimés. Car on respecte uniquement les choses mortes, alors que le chef-d’œuvre reste toujours vivant.

La plupart des virtuoses ne réussissent pas à fusionner dans leurs interprétations les deux attitudes fondamentales citées ci-dessus ; soit ils jouent ce qui est écrit, mais n'ont aucune contribution personnelle (et dans ce cas-là on quitte le concert, parfois étonnés, mais jamais heureux), soit ils prennent l’œuvre comme un prétexte pour extérioriser leur propre fantaisie et – sans aucun égard pour les indications de l'auteur – ils négligent totalement le vrai sens qu'il a donné à sa musique ; dans leur interprétation, ils se servent à leur propre guise de l'élan de leur cœur, leur spontanéité, la diversité de leurs sentiments. Dans ce cas-là, loin de meubler de manière avantageuse la maison, il ne font que défigurer irrémédiablement l’œuvre, parce qu'une interprétation ainsi conçue, n'a aucune base saine...

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