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Lipatti sur...

Biographie


Sur le point de départ dans le travail de l'interprète, dans la même lettre adressée à un jeune pianiste de l'Afrique du Sud.
Quel est le point de départ ? Elle est faire de quelques lois fondamentales de la musique, parmi lesquelles les plus importantes sont, hélas, les plus négligées par les interprètes :
1. Le solfège et, plus particulièrement, le solfège rythmique
2. Accentuer les temps faibles (insister et souligner les temps accentués est l'une des plus grandes erreurs en musique, parce qu'il ne s'agit que d'un saut vers les temps faibles, n'ayant pas leur vrai poids) ;
3. Le fait d'ignorer les immenses ressources apportées par l'indépendance à la même main entre les différentes manières d'attaquer et les différents touchés, donc entre les différents timbres. En obtenant cette indépendance, l'interprétation acquiert un relief inattendu et l'interprétation du pianiste reflète la plasticité et la diversité de l'exécution orchestrale.

Celui qui n'a rien à se reprocher devant la pensée de l'auteur, peut jouer en toute liberté, comme une personne très bien élevée qui peut se permettre en société toute affirmation, toute attitude. Mais si par malheur, l'interprète ignore ou déforme les lois d'une œuvre, aucune contribution personnelle ne lui sera plus permise, aucune liberté, tout comme pour les êtres sans éducation, qui resteront toujours vulgaires, même quand ils s'interdisent la moindre liberté de langage ou attitude.

Sur l'art de Wilhelm Fürtwängler, dans une lettre à sa future épouse, Madeleine Cantacuzino, le 28 mars 1942
J'aime terriblement son rubato ; il le fait souvent sans jamais choquer ; au contraire, ce type de fluctuation donne plus de relief à l'interprétation...

Sur le pianiste parfait, cité par Jacques Chapuis dans le volume In memoriam Dinu Lipatti
Le pianiste parfait, que j'aimerais sortir de ma poche, devrait avoir un touché mélodieux et l'imagination d'Alfred Cortot, la brillance et le brio de Vladimir Horowitz, l'ardeur et la tendresse d'Edwin Fischer.

Sur la méthode personnelle de travail ; dans une lettre de 1946 à la musicienne suisse Marie-Madeleine Tschachtli :
Que pourrais-je vous dire sur l'interprétation ? Il faudrait parler et non-pas écrire, car pour cela j'aurais besoin de 30 pages…

Je pourrais résumer, de manière imparfaite, dans quelques attitudes le chemin qui mène, selon moi, à la vérité. Il faut chercher à découvrir toute l'émotion de l’œuvre en la jouant beaucoup, de différentes manières, avant de commencer à la travailler du point de vue technique. En disant « la jouer » je pense notamment qu'il faut « la jouer mentalement », comme si elle était interprétée par l'artiste parfait.

Après avoir retenu l'expression de beauté absolue laissée par cette interprétation imaginaire (renouvelée incessamment, en répétant la nuit le récital imaginaire), il faut passer au travail réel, technique, disséquer chaque difficulté dans milles parties, pour éliminer l'obstacle physique et technique, non pas en bloc, mais en détail. Ce travail doit être accompli avec lucidité, tout en se gardant d'ajouter des émotions.

Enfin, la dernière phase est celle où l’œuvre maîtrisée physiquement doit être construite dans ses grandes lignes, chantée d'un bout à l'autre pour avoir la perspective. À cette interprétation participe l'être froid, lucide, et raisonnable qui a présidé le travail, mais aussi l'artiste plein d'émotion, fantaisie, vie et chaleur qui l'a créée mentalement et qui retrouve maintenant les moyens d'expression qu'il n'avait pas au début.

Sur sa manière de travailler une nouvelle œuvre – extrait d'une interview du mois de juillet 1950 à François Magnenat pour Radio Sottens
Je n'ai pas de procédé à proprement parler. Mais bien évidemment, je dois faire un plan pour faciliter et raccourcir la période de travail, celle qui est au fond, la plus ingrate et en même temps la plus belle. La première semaine, j'essaie d'apprendre l’œuvre sans toucher le piano à-priori. Dans le cas d'une composition pour piano et orchestre, cela porte des avantages, car on n'apprend pas uniquement la partie du piano, mais toute la partition.

Seulement après je m'occupe du doigté. Je me permets de vous signaler que ce qui frappe le plus dans la musique de Chopin, c'est le fait de retrouver parfois l'empreinte de sa main dans certains passages, tant ils sont faits pour piano (sans faire des concessions à la main). Un bon doigté facilite de 50 % le travail et fixe pour des années l’œuvre dans la mémoire du pianiste. Après le doigté suivent des nuances et ici, évidemment, on doit rester entre les limites du texte, c'est-à-dire, il faut se conformer au maximum aux indications, intentions et suggestions de l'auteur.

Un ou deux mois me suffisent pour apprendre l’œuvre suffisamment pour la connaître, mais pas pour la jouer en public. Et puis, je considère qu'il faut la laisser se reposer et la reprendre plus tard pour achever le travail – la polir, la finir. Et à ce moment-là, j'éprouve parfois la joie de constater que pendant ces mois de pause, l’œuvre a maturé, a travaillé elle-même, si je peux m'exprimer de cette manière.

Dans le cadre de la même interview, il déclarait sur la musique de Jean Sébastien Bach :
C'est l’œuvre qui va droit dans mon cœur. Je crois que en jouant du Bach je me sens le plus pur et je peux bien exprimer ce qu'il y a de mieux dans moi en tant qu'artiste. Même si je ne souhaite pas me spécialiser (j'aimerais jouer les œuvres d'autant de compositeurs que possible), je crois pourtant que je consacrerai la plus grande partie de mon effort artistique à l’œuvre de Bach.