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Lipatti sur...

Biographie


Sur le violoncelliste Carl Flesch, das une lettre à Florica Musicescu – le 23 décembre 1943
Nous avons joué de la musique ensemble. Il a 70 ans, est très vigoureux et a un caractère admirable.

Sur son activité pédagogique au Conservatoire de Genève, dans une lettre à son ancienne professeure, Florica Musicescu, le 22 avril 1946
J'ai la conviction d'être un mauvais professeur, parce que je propose au lieu d'imposer (on ne peut pas changer de nature), et cela donne des fruits uniquement avec les rares élèves qui connaissent leur intérêt et me suivent. Et puis, je manque de vocation.

Souvent je pense avec mélancolie aux matinées perdues en essayant de corriger des êtres qui, pour la plupart, n'ont rien en commun avec la musique. Et la vie est trop courte pour être gâchée de cette façon. Je respecterai l'engagement accepté dans des instants si durs pour moi et j'accompagnerai cette classe jusqu'à l'examen de juin 1946. Ensuite je retrouverai ma liberté, malgré la déception de ceux qui espèrent me voir toujours là-bas. La première année j'ai eu 20 élèves, la deuxième – 15, maintenant 12 et en automne j'espère ne pas en avoir plusieurs. En revanche, le nombre des concerts ne cesse de monter.

Ultérieurement il admettra dans une interview accordée à Franz Walter pour Radio Sottens que :
Donner des leçons suppose souvent les recevoir

Sur la rencontre avec Arturo Toscanini, dans une lettre à Florica Musicescu en août 1946 :
Les 10 jours passés à Milan ont été une bienfaisante oasis de musique, encouragements, envie de travailler. Toscanini, par je ne sais quel miracle, ne m'a pas du tout intimidé, il a été tout le temps très bienveillant envers moi… Je l'ai rencontré la veille de ma première répétition à la Scala et je l'ai prié de m'écouter et de me critiquer sévèrement. Il a gracieusement souscrit à ma demande. Votto, le chef-d'orchestre qui m'a accompagné, a tout fait pour me couvrir en doublant le nombre de cordes et en insistant pour que le couvercle de mon piano soit enlevé, sous prétexte qu'il ne peut pas diriger derrière l'instrument. Madeleine était désolée et moi je l'ai réclamé à Toscanini qui a réduit l'orchestre à moitié et a fait remettre le couvercle au piano.

Après la première répétition, il ma félicité et m'a dit : Enfin, voilà du Chopin sans caprices, avec le rubato que j'aime, dire que la plupart des musiciens veulent être des compositeurs dans la composition des autres […]

Pendant une semaine nous nous sommes rendus deux fois par jour à la Scala, cachés dans les loges les plus sombres d'où on a écouté attentivement. Il a transformé sous nos yeux un orchestre du deuxième rang en un ensemble de très haut niveau. Rien ne peut être plus passionnant que cette lutte sans répit pour dominer la matière brute. […] Nous nous sommes d'autant plus réjouis quand nous avons trouvé à certains instants, la façon de penser, de sentir et de diriger de notre Enescu aimé, avec lequel Toscanini est musicalement apparenté et qu'il apprécie comme étant le plus grand musicien européen.

Sur Bela Bartok dans une lettre du 30 mars 1947 à Florica Musicescu
Je ne crois pas me tromper en considérant que Bartok est le seul vrai grand, très grand compositeur de notre époque.

Sur le Concerto de Robert Schumann, toujours dans une lettre à Florica Musicescu, le 1er Janvier 1948
Maintenant Columbia veut […] enregistrer en avril le Concerto de Schumann (que j'ai travaillé à l'été de 1945) avec moi au piano, sous la direction de von Karajan.. Si cette rencontre me rend très enthousiasmé, comme vous pouvez bien l'imaginer, le concert me fait un peu peur. Je crains être trop peu schumannien, ne croyez-vous pas que ce serait une erreur de faire ce projet ? Je sais très bien que, vu ma situation actuelle, à Columbia je peux à tout moment refuser l'enregistrement si je n'en suis pas satisfait.

Mais ne serait-ce pas mieux de dire non avant d'enregistrer ? Techniquement je le connais, du point de vue musical je l'aime énormément, mais je ne l'ai jamais joué en public. A-t-on le droit d'enregistrer une œuvre dans ces conditions ? Je crains que non. Et puis, vous m'avez une fois dit ces mots : Ne joue jamais la musique que tu aimes, mais la musique qui t'aime. Est-ce que Schumann m'aime, voilà la question !

Sur le compositeur et chef-d'orchestre Igor Markevitch dans une lettre du 21 mars 1948 à Florica Musicescu :
Igor Markevitch, le compositeur devenu après la Guerre un magnifique chef-d'orchestre, a eu un vrai triomphe en Suisse... et nous sommes contents de l'avoir connu si bien ce dernier temps et de pouvoir travailler avec lui la saison suivante… Il est un musicien remarquable et aura une carrière remarquable si la santé le lui permettra.

Le 31 octobre il écrivait à Florica Musicescu sur les bienfaits de sa souffrance :
J'ai l'impression qu'à cause de la maladie j'ai gagné une sensibilité que je ne regrette pas, même si physiquement je suis – hélas – très affaibli...

Sur le message authentique de la partition, dans une lettre au critique suisse Aloys Mooser, citée dans le volume In memoriam, Dinu Lipatti
Comment faire pour ne pas s'éloigner du texte de l’œuvre interprétée ? Comment faire pour ne pas se laisser emporter insensiblement par quelques licences légères, qui, graduellement et imperceptiblement, deviennent des fautes impardonnables ?

Il n'y a qu'un seul moyen : toujours recommencer, tout en oubliant ce qui a été fait avant : phrasé, accent, nuances, mouvement, et regarder le texte comme si c'était la première fois. Car sans faute, un phrasé tend à s'éloigner de plus en plus de ce qu'il a été initialement. Un accent, une nuance acquièrent une importance qu'on ne voulait point leur donner au début, les contours d'un rythme s'estompent et les l'interprétation devient de plus en plus dénaturée...

Les devoirs de l'interprète face à une œuvre musicale, énumérés dans une lettre à un jeune pianiste de l'Afrique du Sud, citée dans le volume In memoriam Dinu Lipatti
Notre » vraie et unique religion, notre seul et inébranlable point d'appui est le texte écrit. Il ne faut jamais manquer de fidélité envers ce texte, comme si nous rendions compte de nos actions chaque jour devant des juges implacables.
Devant ce tribunal suprême institué par nous de bon gré pour protéger ce que nous considérons comme notre croyance, notre évangile – le texte écrit, nous devons l'étudier, l'assimiler, le confronter à plusieurs éditions, pour enfin mettre en avant cette image qui correspond le plus fidèlement possible à la pensée initiale du compositeur.

Une fois tout cela bien établi, il ne faut pas oublier que ce texte, pour qu'il puisse vivre sa vie, doit avoir un peu de notre vie ; tout comme dans une construction, nous devons ajouter à la fondation bétonnée de nos scrupules envers le texte, tout ce dont une maison a besoin pour être achevée : l'élan de notre cœur, la spontanéité, la liberté, la diversité des sentiments etc.
Casella dit quelque part que les chefs-d’œuvre ne doivent pas être respectés, mais aimés. Car on respecte uniquement les choses mortes, alors que le chef-d’œuvre reste toujours vivant.

La plupart des virtuoses ne réussissent pas à fusionner dans leurs interprétations les deux attitudes fondamentales citées ci-dessus ; soit ils jouent ce qui est écrit, mais n'ont aucune contribution personnelle (et dans ce cas-là on quitte le concert, parfois étonnés, mais jamais heureux), soit ils prennent l’œuvre comme un prétexte pour extérioriser leur propre fantaisie et – sans aucun égard pour les indications de l'auteur – ils négligent totalement le vrai sens qu'il a donné à sa musique ; dans leur interprétation, ils se servent à leur propre guise de l'élan de leur cœur, leur spontanéité, la diversité de leurs sentiments. Dans ce cas-là, loin de meubler de manière avantageuse la maison, il ne font que défigurer irrémédiablement l’œuvre, parce qu'une interprétation ainsi conçue, n'a aucune base saine...